64 L’écriture est alors ce qui vise à produire cette transsubstantiation
Il y a, pour employer une expression de Proust, un « égoïsme utilisable pour autrui » (Le temps retrouvé) :
Certes, ce que j’avais éprouvé dans la bibliothèque et que je cherchais à protéger, c’était plaisir encore, mais non plus égoïste, ou du moins d’un égoïsme (car tous les altruismes féconds de la nature se développent selon un mode égoïste, l’altruisme humain qui n’est pas égoïste est stérile, c’est celui de l’écrivain qui s’interrompt de travailler pour recevoir un ami malheureux, pour accepter une fonction publique, pour écrire des articles de propagande) utilisable pour autrui.
Là encore, il y a un point de connivence éthique entre les deux œuvres. Par delà les très grandes différences qu’on y trouve, elles sont guidés par certains principes identiques.
Mais cette transsubstantiation ne s’opère pas d’elle-même, elle est produite par l’écriture, la manière d’écrire, non en miroir du moi mais comme la recherche d’une vérité hors de soi. Et – c’est peut-être une façon de dépasser le paradoxe – cette vérité-là est plus importante que ma personne, que le souci de ma personne, de ce que l’on pensera de moi, elle mérite, elle exige que je prenne des risques.
Il s’agit d’une vérité qui, si on la rapproche de ce qui a été dit plus haut, n’est pas universelle mais n’est pas non plus individuelle. Elle est une vérité pour un groupe, un nous, à un certain moment de son existence.