62 Le « je » en tant qu’il porte l’empreinte de « nous »

Dans le cas d’Annie Ernaux le cheminement vers le réel s’est identifié avec un cheminement du je vers le nous. Ce nous, par ailleurs, est distingué de l’universel. Ce n’est pas le nous humain, mais le nous politique du groupe qui est visé.

C’est la valeur collective du « je » autobiographique et des choses racontées. Je préfère cette expression, valeur collective, à « valeur universelle », car il n’y a rien d’universel. La valeur collective du « je », du monde du texte, c’est le dépassement de la singularité de l’expérience, des limites de la conscience individuelle qui sont les nôtres dans la vie, c’est la possibilité pour le lecteur de s’approprier le texte, de se poser des questions ou de se libérer.

Ce dépassement du « je » dans le « nous » devient le synonyme du réel. C’est par ce dépassement que s’accomplit l’accès au réel. Ainsi, par exemple, la jalousie, sentiment qui peut sembler, au premier abord, être typiquement celui d’un je, d’une individualité, d’une subjectivité prisonnière de sa situation, devient, par cette transmutation du je au nous, un jalousie générique, socialement conditionnée.