16 Sarraute, dans L’ère du soupçon

Ce qui apparaissait aux critiques comme des innovations stylistiques douteuses, Sarraute le décrit comme autant de contraintes liées à ce qu’elle a voulu faire parvenir à l’expression :

Les textes qui composaient ce premier ouvrage étaient l’expression spontanée d’impressions très vives, et leur forme était aussi spontanée et naturelle que les impressions auxquelles elle donnait vie.

Je me suis aperçue en travaillant que ces impressions étaient produites par certains mouvements, certaines actions intérieures sur lesquelles mon attention s’était fixée depuis longtemps. En fait, me semble-t-il, depuis mon enfance.

Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence.

Ce n’est pas dans le but de présenter quelque chose de banal d’une façon originale, comme le prétend Henriot. Mais c’est pour dégager des aspects des relations humaines qui ne sont pas accessibles dans le cadre des techniques romanesques habituelles.

Selon Sarraute, ce que le roman, captivé qu’il était par la psychologie des personnages, n’est pas parvenu à restituer, c’est la fluctuation ambivalente des relations humaines, toujours prises dans des interprétations qui peuvent varier selon d’infimes circonstances.

Or, pour le montrer, le mieux n’est pas de suivre un personnage d’un bout à l’autre d’une action. Mais c’est de saisir les moments où ces fluctuations se manifestent. Elles se manifestent d’une façon si discrète et fugitive qu’il faut, pour les atteindre, saisir le moment où elles font leur apparition.