19 Commentaire de Tropisme dans L’ère du soupçon

Ces actions, ces comportements, bien qu’extrêmement courants, nécessitent, pour être exprimés, de faire appel à des moyens expressifs inhabituels :

Comme, tandis que nous accomplissons ces mouvements, aucun mot — pas même les mots du monologue intérieur — ne les exprime, car ils se développent en nous et s’évanouissent avec une rapidité extrême, sans que nous percevions clairement ce qu’ils sont, produisant en nous des sensations souvent très intenses, mais brèves, il n’était possible de les communiquer au lecteur que par des images qui en donnent des équivalents et lui fassent éprouver des sensations analogues.

Le drame, la tragique des situations, dont Henriot reproche aux nouveaux romanciers d’y avoir renoncé, n’est donc pas du tout absent aux yeux de Sarraute. Mais il a pris une forme beaucoup plus subtile que celle que pouvaient reconnaître les romanciers traditionnels :

Leur déploiement constitue de véritables drames qui se dissimulent derrière les conversations les plus banales, les gestes les plus quotidiens. Ils débouchent à tout moment sur ces apparences qui à la fois les masquent et les révèlent.

Les drames constitués par ces actions encore inconnues m’intéressaient en eux-mêmes. Rien ne pouvait en distraire mon attention. Rien ne devait en distraire celle du lecteur : ni caractères des personnages, ni intrigue romanesque à la faveur de laquelle, d’ordinaire, ces caractères se développent, ni sentiments connus et nommés.

C’est cela qu’il s’agit de faire apparaître dans la lumière de la littérature.