22 La question du « psychologisme » et le Nouveau Roman
En un sens, ce projet s’inscrit dans le droit fil du roman psychologique dont il est l’approfondissement. Autrement dit, le roman psychologique apparaît rétrospectivement comme une esquisse un peu grossière de ce que développe le Nouveau Roman.
Mais ce dernier y ajoute une dimension que la psychologie traditionnelle n’avait pas su atteindre parce qu’elle cherchait à définir les caractères de manière trop uniforme par rapport à la réalité (Dostoïevski puis Proust et Joyce étant des points de bascule pour cette psychologie unifiée). Et c’est pourquoi, en un autre sens, le roman semble venir briser les codes de l’exposition traditionnelle.
Et Sarraute le dit très explicitement :
J’ai été conduite, en 1947, un an après avoir terminé Portrait d’un inconnu, à étudier sous un certain jour l’œuvre de Dostoïevski et de Kafka. On opposait une littérature métaphysique, celle de Kafka, à une littérature qu’on qualifiait avec dédain de « psychologique ». C’est pour réagir contre cette discrimination simpliste que j’ai écrit mon premier essai : De Dostoïevski à Kafka.
La tendance que relève ici Sarraute est celle qui consiste à destituer le psychologique (qui serait chez Dostoïevski), présenté comme de peu de valeur, pour mieux faire valoir le « métaphysique », qui serait la part noble du discours littéraire. Elle-même s’oppose à cette tendance. Et elle le fait en tentant d’établir une distinction.
Il faut distinguer, dit-elle, l’analyse des sentiments (roman psychologique traditionnel : La princesse de Clève) et la description des forces psychiques :
On commence maintenant à comprendre qu’il ne faut pas confondre sous la même étiquette la vieille analyse des sentiments, cette étape nécessaire, mais dépassée, avec la mise en mouvement de forces psychiques inconnues et toujours à découvrir dont aucun roman moderne ne peut se passer.
La « psychologie » est donc un terme décisif dans le débat. Au sein même du mouvement du Nouveau Roman, elle divise ceux qui s’en réclament (comme Sarraute) et ceux qui veulent rompre avec elle.
N’oublions pas que toute la phénoménologie est née d’une critique de la psychologie « scientifique » qu’on trouve notamment chez Husserl. Mais la position de la phénoménologie à l’endroit de la psychologie a toujours été complexe : critique de ses fondements théoriques mais non de l’intention de connaissance qui s’y manifeste.
Elle a cependant entraîné, dans son sillage, une critique radicale de tout ce qui est « psychologique » (même si ce n’était pas exactement l’intention de Husserl comme en témoignent ses cours de 1925-1928 intitulés Psychologie phénoménologique).