33 La faute à Mallarmé

Kaufmann écrit, résumant les thèses présentées dans l’essai de William Marx publié en 2005, L’adieu à la littérature :

C’est toujours la faute à Mallarmé mais aussi, avant lui, celle à Baudelaire et à Flaubert. Tous sont coupables d’avoir choisi l’« art pour l’art » et l’irresponsabilité sociale, épinglée en somme à juste titre par l’inoubliable procureur Pinard au moment des procès intentés à Baudelaire et Flaubert. Les fossoyeurs de la littérature sont ceux qui en ont fait leur exclusive passion. Ils l’ont aimée, mais trop jalousement. Pour lui éviter toute forme d’instrumentalisation, ils l’ont interdite de vie sociale, ils lui ont imposé la « grève devant la société », selon l’expression de Mallarmé. Ils l’ont repliée sur elle-même, ils l’ont contrainte à la réflexivité et à un interminable et dévastateur tête-à-tête dont elle ne se serait jamais remise.

Pourtant, à ses commencements, Beauvoir avait apprécié ceux qui allaient devenir les « Nouveaux Romanciers », et notamment Sarraute. Dans La force des choses :

Je nouai des amitiés nouvelles. Avant la guerre une inconnue avait envoyé à Sartre un petit livre, Tropismes, qui avait passé inaperçu et dont la qualité nous frappa ; c’était Nathalie Sarraute ; il lui avait écrit, il l’avait rencontrée. En 41, elle avait travaillé dans un groupe de résistance avec Alfred Péron ; Sartre l’avait revue, j’avais fait sa connaissance. Cet hiver-là, je sortis assez souvent avec elle. Fille de Russes israélites que les persécutions tzaristes avaient chassés de leur pays au début du siècle, elle devait, je suppose, à ces circonstances sa subtilité inquiète. Sa vision des choses s’accordait spontanément avec les idées de Sartre : elle était hostile à tout essentialisme, elle ne croyait pas aux caractères tranchés, ni aux sentiments définis, ni à aucune notion toute faite. Dans le livre qu’elle écrivait à présent, Portrait d’un inconnu, elle s’attachait à ressaisir à travers les lieux communs l’équivoque vérité de la vie. Elle se livrait peu, elle parlait surtout de littérature, mais avec passion.

Il y a donc eu désillusion, au moins chez Beauvoir ou évolution de ses attentes artistiques et philosophiques dans un sens qui l’éloignait de la tendance à l’art pour l’art que pouvait représenter, par certains côtés, le courant du Nouveau Roman.

Dans La force de l’âge, on peut lire :

La littérature de l’exis [Sartre, dans Qu’est-ce que la littérature ?, avait opposé la littérature de l’exis à la littérature de la praxis], c’est celle de Nathalie Sarraute : reprenant à son compte le vieux psychologisme français, elle décrit avec talent l’attitude paranoïaque de la petite bourgeoisie, comme si elle constituait l’immuable nature de l’homme.