7 Sarraute au début de l’ère du soupçon

Voici ce qu’écrit Nathalie Sarraute :

L’intérêt que suscitent depuis quelque temps les discussions sur le roman, et notamment les idées exprimées par les tenants de ce qu’on nomme le « Nouveau Roman », porte bien des gens à s’imaginer que ces romanciers sont de froids expérimentateurs qui ont commencé par élaborer des théories, puis qui ont voulu les mettre en pratique dans leurs livres. C’est ainsi qu’on a pu dire que ces romans étaient des « expériences de laboratoire ».

  • Ces critiques selon laquelle le roman serait devenu une « expérience », et surtout une expérience « froide » avec le langage se sont, en effet, très vite manifestées. Le roman aurait perdu son « âme », pour certains, dans ces expérimentations.

  • Pour donner une idée de ce que furent ces critiques, je vais avancer un petit peu dans le mouvement par lequel je voudrais présenter les Nouveaux Romanciers en m’intéressant aux critiques du livre de Robbe-Grillet intitulé La jalousie et Tropismes de Nathalie Sarraute publiés tous les deux en 1957 aux Éditions de Minuit. Pour ce dernier livre, il s’agit en fait d’une réédition. Tropismes a été initialement publié en 1939 chez Denoël.

  • Ce sont ces deux auteurs (avec leur éditeur Jérome Lindon) que nous trouvons à l’origine du mouvement. Dans sa biographie de Robbe-Grillet, Benoît Peeters rapporte un propos de Sarraute :

Selon Robbe-Grillet, elle [Sarraute] reste trop tributaire du vieux mythe de la profondeur. « Si le monde est quelque chose de dur, de têtu, d’immédiatement présent, ne vaudrait‑il pas mieux s’attacher enfin à cette surface tant calomniée, plutôt qu’à ce qu’elle cacherait (dit‑on) ? » Ces réserves n’empêchent pas Robbe-Grillet, dès les premières rencontres avec Nathalie Sarraute, d’être sensible à sa volonté d’innovation comme à son intelligence acérée et son humour. Il lui propose aussitôt une alliance : si différents que soient leurs projets littéraires, n’ont‑ils pas les mêmes ennemis ? Il est persuadé que, pour sortir de l’ornière du système du roman traditionnel, ils ont tout intérêt à créer ensemble une sorte de mouvement. « En somme, il s’agirait surtout d’une association de malfaiteurs ! » lui aurait répondu Sarraute en souriant.

  • Le critique Emile Henriot est l’un de ces ennemis communs qui ont contribué à forger le mouvement.

  • Recette pour former un mouvement littéraire :

  • Au moins deux personnes ayant des projets différents mais les mêmes opposants. Au moins une personne (l’éditeur) disposée à mettre au service de ce point commun les moyens dont il dispose pour le faire connaître.