17 Le texte Retour à Reims et la madeleine d’Eribon

Et c’est d’ailleurs au détour d’une conversation avec sa mère que Didier Eribon est, nous raconte-t-il, pris par une sensation qui implique une compréhension de ce qui peut être atteint par l’écriture :

N’avais-je pas souffert d’une tout autre façon, selon le schéma freudien d’une « mélancolie » liée au deuil indépassable des possibilités que l’on a écartées, des identifications que l’on a repoussées ? Elles survivent dans le moi comme l’un de ses éléments constitutifs. Ce à quoi l’on a été arraché ou ce à quoi l’on a voulu s’arracher continue d’être partie intégrante de ce que l’on est. Sans doute les mots de la sociologie conviendraient-ils mieux que ceux de la psychanalyse pour décrire ce que la métaphore du deuil et de la mélancolie permet d’évoquer en termes simples, mais inadéquats et trompeurs : les traces de ce que l’on a été dans l’enfance, de la manière dont on a été socialisé, perdurent même quand les conditions dans lesquelles on vit à l’âge adulte ont changé, même quand on a désiré s’éloigner de ce passé, et, par conséquent, le retour dans le milieu d’où l’on vient – et dont on est sorti, dans tous les sens du terme – est toujours un retour sur soi et un retour à soi, des retrouvailles avec un soi-même autant conservé que nié. Affleure alors à la conscience, en de telles circonstances, ce dont on aurait aimé se croire libéré, mais dont on n’ignore pas que cela structure notre personnalité, à savoir le malaise produit par l’appartenance à deux mondes différents, séparés l’un de l’autre par tant de distance qu’ils paraissent inconciliables, mais qui coexistent néanmoins dans tout ce que l’on est ; une mélancolie liée à l’« habitus clivé », pour reprendre ce beau et puissant concept de Bourdieu.