21 Analyse de la honte par Didier Eribon
Le sentiment qui va se trouver ici au cœur de l’attention est le sentiment de honte.
Eribon distingue deux sortes de honte, honte sociale, honte sexuelle :
Une question avait commencé de m’obséder quelque temps plus tôt, depuis le pas franchi du retour à Reims. Elle allait se formuler de façon plus nette et plus précise encore dans les jours qui suivraient cet après-midi passé à regarder des photos avec ma mère, au lendemain des obsèques de mon père : « Pourquoi, moi qui ai tant écrit sur les mécanismes de la domination, n’ai-je jamais écrit sur la domination sociale ? » Et aussi : « Pourquoi, moi qui ai accordé tant d’importance au sentiment de la honte dans les processus de l’assujettissement et de la subjectivation, n’ai-je à peu près rien écrit sur la honte sociale ? » Je devrais même énoncer la question en ces termes : « Pourquoi, moi qui ai tant éprouvé la honte sociale, la honte du milieu d’où je venais quand, une fois installé à Paris, j’ai connu des gens qui venaient de milieux sociaux si différents du mien, à qui souvent je mentais plus ou moins sur mes origines de classe, ou devant lesquels je me sentais profondément gêné d’avouer ces origines, pourquoi donc n’ai-je jamais eu l’idée d’aborder ce problème dans un livre ou un article ? » Formulons-le ainsi : il me fut plus facile d’écrire sur la honte sexuelle que sur la honte sociale.