35 Nous sommes émus par ce qui s’est réellement passé
Le philosophe britannique Colin Radford a formulé le paradoxe de la fiction dans un article de 1975 : Comment pouvons-nous être émus par le destin d’Anna Karénine ? (que vous trouverez en ligne). Il a aussi développé ce paradoxe dans un certain nombre d’essais ultérieurs.
L’idée centrale est que, dans la vie réelle, nous ne réagirions pas émotionnellement à quelque chose que nous savons être faux. Par exemple, si quelqu’un nous raconte une histoire triste mais fausse à propos de la mort d’un proche, nous ne ressentirions pas la même tristesse que si c’était réel.
Que signifie d’être ému par ce qui arrive à quelqu’un ? Supposons que vous lisiez un compte rendu des terribles souffrances d’un groupe de personnes. Si vous êtes un tant soit peu humain, il est peu probable que vous restiez insensible à ce que vous lisez. Le récit est susceptible d’éveiller ou de raviver des sentiments de colère, d’horreur, de consternation ou d’indignation et, si vous avez le cœur tendre, il se peut que vous soyez ému aux larmes. Il se peut même que vous ayez du chagrin.
Mais supposons maintenant que vous découvriez que ce récit est faux. Si le récit vous a causé du chagrin, vous ne pourrez pas continuer à vous affliger. Si, au fur et à mesure que le récit s’impose à vous, on vous dit ou on vous fait croire qu’il est faux, il vous sera impossible de pleurer, à moins qu’il ne s’agisse de larmes de rage. Si vous appreniez plus tard que le récit était faux, vous auriez l’impression d’avoir été trompé, d’avoir été dupé lorsque vous avez été ému aux larmes.